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Oriente équatorien, par Saint-Helens (DeviantArt) |
Le temps n'éteint jamais complètement la révolte, qui ne demande qu'à être ravivée.
14/05/14
Le sentiment de
révolte né de l'injustice perdure souvent bien au-delà du souvenir précis de ce
qui nous indigna, légitimement (nous en sommes certains, puisque nous le sommes
encore). L'émoi survit fréquemment aux révélations
fugaces. La confuse et pourtant lumineuse révélation anticipe fréquemment
l'explicitation, la distinction morale des faits ou enchaînements révélés de
faits qui nous préoccupe, si tant est qu'elles s'exécutent.
Ainsi, nous avançons,
jour après jour, avec l'amertume légère d'incidents irrésolus, de résolutions
devenues inexplicables, antédiluviennes à l'aune d'un quotidien somnambule.
Hier soir pourtant,
j'ai retrouvé un peu de cette magie ancienne. Mes raisons enfouies demeurent
enfouies. Mais la Nature, le mystère sublime, ont semblé me réapprendre. Sur
une impulsion, je suis sorti sur le perron après dîner, en éteignant la lumière
derrière moi. De ce côté-ci de la maison, du côté du jardin minuscule, le
crépuscule s'affirmait sans lampadaires vulgaires. Frénétiques, les
grillons chantaient dans tous les coins, tandis que s'arrondissaient vers le
ruisseau, à cinquante mètres, puis vers le parc et ses grands pins, à deux
cents mètres à gauche, le son flûté d'un alyte, puis le hululement d'une chouette
effraie. Sur ma droite, en haut de la colline, le séquoia semblait palpiter dans l'air violacé comme un invertébré marin, dépassant malgré son jeune âge la
masse indistincte des houppiers indigènes. Le soir était profond. J'étais seul,
et je succombais, envoûté, heureux. Je retrouvais d'un seul coup la magie supérieure
des soirs amazoniens, des nuées équatoriennes, des nuits de Basse-Terre. Elle
ne s'était pas perdue avec mes vingts ans et mes illusions, non. Tout était
encore là: intact, neuf même. Toute cette beauté n'avait jamais cessé d'être
là, tandis que j'oubliais l'éblouissement soi-disant définitif de mes satoris et de mes engagements solennels. Tout
était encore là, non pas intact mais "énergique": la Nature sauvage, le mystère; ils subsistaient malgré l'odieux foutoir
électrique et toute la glu et les rires faux de cette époque détraquée. Je me sentais merveilleusement bien, libre de mépriser à nouveau l'adversaire. Il était encore temps de lutter.
► La morale sauvage, aiguillon et boussole.
► La morale sauvage, aiguillon et boussole.
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