Broussailles et foin anglais


Extrait de Walden, de l'écrivain et philosophe américain Henry David Thoreau (1817-1862)



Herbes folles.

"Comme je quittais le toit de l'Irlandais après la pluie [Thoreau vit comme un prince dans une bicoque qu'il s'est bâti pour trois sous, et vient de rendre visite à une famille d'immigrants misérables, entassée dans une triste chaumière], et dirigeai de nouveau mes pas vers l'étang, ma hâte à prendre du brocheton, en pataugeant dans des marais retirés, dans des frondrières et des trous de tourbières, dans des lieux désolés et sauvages, m'apparut un instant puérile, à moi qu'on avait envoyé à l'école et au collège; mais comme je descendais au pas de course la colline vers l'ouest rougeoyant, l'arc-en-ciel par-dessus l'épaule, et dans l'oreille de légers bruits argentins apportés, à travers l'atmosphère purifiée, de je ne sais quels parages, mon Bon Génie sembla dire: "Va pêcher et chasser au loin jour sur jour, -- plus loin, toujours plus loin -- et repose-toi sans crainte au bord de tous les ruisseaux et à tous les foyers que tu voudras. (...) Lève-toi libre de souci avant l'aube, et cherche l'aventure. Que midi te trouve près d'autres lacs, et la nuit te surprenne partout chez toi. Il n'est pas de champs plus grands que ceux-ci, pas de jeux plus dignes qu'on n'en peut jouer ici. Pousse sauvage selon ta nature, comme ces joncs et ces broussailles, qui jamais ne deviendront foin anglais. Que le tonnerre gronde; qu'importe s'il menace de ruine la récolte des fermiers? Ce n'est pas sa mission vis-à-vis de toi. Prends abri sous le nuage, tandis qu'ils fuient vers charrettes et hangars. Fais qu'à toi nul vivant ne sois trafic, mais plaisir. Jouis de la terre, mais ne la possède pas. C'est par défaut de hardiesse et de foi que les hommes sont où ils sont, achetant et vendant, et passant leur vie comme des serfs."
O ferme de Baker!"

...Voilà qui m'échauffe la cafetière au réveil. Je me demande si les fous du Zen qui parcouraient le Japon à moitié nus, riant à gorge déployée au tonnerre, avec une chambre aux murs touchant l'horizon, au toit qui atteint le ciel, ont réellement existé. J'ai parfois du mal à concevoir la réalité des Vieux Sages, d'un continent ou de l'autre, contemporains des foules assommées par la misère, d'intellectuels poseurs, d'étudiants ennuyeux, d'élites futiles, de prophètes profiteurs... Ce qui est formidable d'ailleurs, incomparablement glorieux et dérisoire: la finesse de notre peau, la fragilité et la petitesse de la boîte d'os qui renferme le génie de Picasso ou l'ambition d'Alexandre le Grand. Des types qui s'agitent et clamsent, quelques décennies. Personne n'a jamais le temps de ne rien faire ou de ne rien dire, et pourtant, on met des feuille d'or sur les palais et du marbre dans les cimetières.

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