Les elfes du Hobbit, les Na'avis d'Avatar, le bestiaire de Narnia, celui d'Harry Potter, des derniers Star Wars... Des créatures et des designs étonnamment kitsch, sans originalité réelle. D'où vient ce manque d'imagination des créateurs et illustrateurs de SF ou d'heroic-fantasy, eux qui sont censés en avoir à revendre?
Je me réjouis du succès de Game of Thrones. Enfin un univers et des personnages qui n'aient pas l'air d'une plate imitation du Seigneur des Anneaux ou de Conan... L'HF étant un genre fictionnel, donc lourdement codifié: quel intérêt artistique peut-on trouver à s'imposer en outre la charte établie en leur temps par les vieux créateurs? Si ce n'est par paresse, par intérêt promotionnel et financier? Jusqu'à GOT, la créativité des écrivains et autres illustrateurs d'HF était-elle à ce point limitée qu'ils n'aient su éviter de reprendre un bestiaire certes intéressant, mais limité, et intimement lié au récit originel lui-même, à SA dramaturgie? Certes, les habitants et la faune de la Terre du Milieu ou de l'univers de Conan mènent une existence qui dépasse le cadre du livre, tant les auteurs démiurges ont su leur prêter vie et complexité. Ce sont des mondes fascinants de richesse et d'aventure, où des milliers d'autres histoires pourraient se dérouler. Cependant, faut-il rappeler le caractère arbitraire, artificiel et conventionnel de leur plastique, le statut unidimensionnel que leur confère fatalement la sensibilité particulière de l'artiste, qui détermina leur "existence"?
A quoi riment ces innombrables reproductions, ces reprises laborieuses et ces références serviles? Perpétuelle réfection de vieux modèles: clonage d'elfes falots aux sempiternelles, ridicules oreilles pointues, brassage de sorciers vus mille fois, d'assassins encapuchonnés, barbares musculeux, amazones plantureuses, super-héros sans cesse relancés. De nouvelles matières fondues dans un moule inchangé, de nouveaux visages peints avec application sur un masque officiel, obligatoire. Pourquoi reprendre jusqu'à l’écœurement ces clichés, quelle raison d'en saturer les nouvelles bandes-dessinées, les derniers films et jeux vidéo? Certes, l'un des plaisir des amateurs de ces genres, l'une des définitions même de la culture geek, réside dans cet éternel retour en terrain connu et les débats enflammés d'esthètes et d'exégètes qu'autorise la convocation d'un vocabulaire commun. Pour autant, faut-il que ce dernier soit à ce point limité? Et le jeu (les joutes, les hypothèses etc.), l'obligation de références claires et populaires, interdit-il le renouvellement, l'irruption d'éléments et de lois inédites?
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Certes, Il demeure compliqué pour un dessinateur ou un écrivain de s'affranchir des visions et designs qui encombrent à son insu son propre imaginaire. Tout comme le polar ou les histoires à l'eau de rose, la SF et l'Heroic Fantasy imposent un cadre ou un esprit aux fictions qui s'en réclament ou qui malgré elles, s'en inspirent et l'enrichissent. Mais ces genres n'interdisent pas le renouvellement et l'exploration.
Peut-être qu'étant par nature liée à des mondes inexistants, ils se retrouvent d'une certaine façon prisonnier de l'illustration (au sens large) plus que les autres genres, dont l'esthétique peut être confrontée ou retrouvée dans le Réel, et donc appartenir à tous?. Nécessité de s'appuyer sur la "charte graphique" établie par les meilleurs et plus anciens illustrateurs,attendu qu'on ne peut (a priori, car les visionnaires puisent dans le Réel leurs formes et idées!) trouver dans le monde réel ou contemporain le support visuel à ses propres créations fictionnelles. L'illustration, la suggestion, la description des mondes fictifs appartient en premier lieu aux artistes supérieurs, et leurs visions puissantes s'imposent durablement aux amateurs et confrères. D'où certaine pesanteur et difficulté d'émancipation chez les nouvelles générations, qui puisent inévitablement dans l’œuvre des maîtres du genre, puisqu'il faut bien partir de quelque part, et qu'il apparaît moins naturel de s'inspirer d'un extérieur (le Réel), paradoxalement éloigné. Ainsi reproduit-on comme s'il ne s'agissait pas de style personnel et contingent la façon de dessiner un dragon, avec une mâchoire carrée et de grandes ailes de chauve-souris, comme s'il s'agissait de la seule et unique représentation possible! Des milliers d'artistes depuis des lustres reproduisent la vision personnelle de Howe par exemple, en se persuadant que leur technique différente ou leur degré de sophistication confère quelques originalité à leur travail. D'une férocité inédite, Les dragons de GOT souscrivent pourtant à ces poncifs stylistiques...
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Pommettes hautes, petit nez et longues oreilles: la même charte pour Zelda, les Minimoys, Dark Crystal ou le Chninkel... |
En ce qui concerne la science-fiction, l'indigence créative se double trop souvent d'un anthropomorphisme rétrograde. Un passéisme paradoxal, dû en partie à cette difficulté de s'affranchir des Pères visionnaires, mais aussi au peu d'intérêt qu'accordent réellement les artistes à la pertinence biologique de leur univers. Avec un tout petit peu de sérieux, aucun designer honnête n'irait en effet peupler d'humanoïdes ses mondes exotiques, ou alors à dessein: pour parodier la SF à papa des années 60, ou revendiquer une esthétique rétro...
Il suffit d'observer une planche entomologique pour s'en convaincre. En réalisant la stupéfiante diversité de réponses du Vivant à la contrainte des milieux les plus variés et "hostiles", la beauté et la complexité des formes, des espèces, des modes de vie; la non-universalité du modèle évolutionniste humain: reproduction sexuée (et donc, séparation des genres, originalité du spécimen), existence limitée au siècle, consommation d'eau et d'oxygène en quantité etc., organisation en sociétés pyramidales et coercitives etc. (chacune de ces composantes caractérise l'homme et un certain nombre d'autres espèces, mais n'est PAS la seule réponse fonctionnelle aux problématiques de Survie, dont d'ailleurs, la survie de l'individu en tant que principe de perpétuation de l'espèce n'est pas un modèle universel, ni le plus efficace!), on ne manquera pas d'afficher une moue perplexe devant les "races" improbables d'univers comme celui du populaire Star Trek ou du récent Défiance: si peu d'imagination!.
Qu'on ait peuplé autrefois l'espace de créatures opportunément bipèdes, en affublant les acteurs de collants et de masques de carnaval peut se comprendre, pour des raisons financières ou techniques (les effets spéciaux de l'époque). Mais quel intérêt aujourd'hui, de ressasser ce look périmé? De ranimer ces créations piteuses, prétendus extraterrestres pourvus d'une paire de bras et de jambes comme vous et moi, dotés d'une peau bigarrée ou d'une paire d'yeux vaguement étranges, et le plus ridicule, de prothèses faciales (généralement sur les arcades sourcilières, donnant à la créature l'aspect d'un croisement primate-batracien). La question n'est pas de déguiser des acteurs ou de créer ex nihilo des créatures en CGI: les animatronics continuent d'être plus "réalistes" que les effets numériques les plus détaillés, et les créatures anthropoïdes d'Avatar ou de John Carter de Disney ne dépareille pas dans la faune kitsch des plus anciens visionnaires. Elle est de savoir pourquoi, si ce n'est par anthropocentrisme et donc par rejet intrinsèque de cela-même qui peut faire la puissance attractive d'une fiction autour des extraterrestres: son étrangeté -les aliens, autres centres et perspectives dans l'Univers-, pourquoi diable, alors que nous en avons aujourd'hui les moyens, refuser le champ illimité d'une biodiversité extraterrestre, et se cantonner à de peu crédibles bipèdes anthropoïdes?
Il y aurait pourtant de passionnantes réflexions et recherches graphiques à mener en élargissant un peu notre vision, c'est-à -dire en concevant des extraterrestres qui le soient réellement! Réfléchir aux problématiques imposées par des environnements sans commune mesure avec le décor terrestre: des milieux de feu, de glace, de gaz purs... des formations géologiques inconnues, des mers sans fond, des altitudes extraordinaires... Des milieux où le temps s'écoule différemment, où la gravité est différente, les distances, les ressources... Il y a autant d'Umwelts que d'espèces vivantes sur Terre: il y en a des milliards et des milliards potentiels dans l'Univers!
Une réserve, toutefois:
Il ne faudrait pas oublier le superbe et terrifiant Alien, par le génial Giger. Et sauver quelques créatures parmi le bestiaire convenu de Star Wars. Reconnaissons également la sympathie qu'inspire des créatures hybrides, mi-homme, mi-animal terrestre, par la filiation qu'elles honorent avec la symbolique du conte (les Ewoks, a mi-chemin entre l'HF et la SF, les hommes-cochons du Retour du Jedi, voire Chewbacca, teddy-bear géant), la mythologie ancestrale où certes, l'évocation d'animaux à deux pattes fut une belle façon de traduire l'animalité qui nous fascine.
Combien de pistes, de formes inspirante, dans la Nature! Il suffit d'observer le plancton grouillant de monstres miniatures, l'invraisemblable faune abyssale, les bactéries... Isopodes parasites, amblypiges, poissons-crapauds, vers intestinaux, mollusques rampants... Créatures apodes, acéphales, anaérobiques, immortelles, phosphorescentes, gigantesques, minuscules... La Vie prend des allures et des voies fascinantes et extrêmement diverses. Nul besoin, d'ailleurs, de plonger à dix mille mètres sous la surface: il suffit parfois de se pencher sur une fleur.
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Exubérance et étrangeté de la biodiversité sous-marine: quelques exemples parmi des millions... |
Une seconde...
Cela ne signifie pas non plus qu'on soit tenu de se cantonner à une "hard" SF réaliste, à grand renfort de spécialistes et de consultants... Une approche plus poétique ou magique des mondes imaginaires peut être judicieuse. Tout est bon à prendre, du moment qu'on recherche l'originalité, ou si l'on ne souhaite pas l'être (original), qu'on ne se prenne pas trop au sérieux...
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