La Mort n'existe pas (1/3)


Photo d'Eric Médard, extraite du magnifique Passeur de lunes (2015)


Je n'ai pas peur de la mort.


      Je n'aimerais pas mourir avant d'avoir réalisé certaines choses*. Et l'idée qu'on ne m'épargnera probablement pas le marbre et les discours larmoyants m'ennuie assez. Mais, j'ai beau y revenir, y songer dans le noir, au petit matin: je ne crains pas la mort. Je ne la crains pas, parce que, tout bien réfléchi: il n'y a rien à craindre. Certes, je redoute la souffrance physique, la tristesse des proches, l'imprécision du scénario. Mais je n'ai nulle crainte de ce qui ne me menace aucunement, de ce qui n'est qu'une représentation folklorique de l'indicible: crânes, ombres, corbeaux, rats, caveau froid, anges éplorés. Les vers, après tout, ne sont que d'honnêtes enfants de mouches. Je n'ai rien à redouter du chacal qui nourrirait ses petits de ma chair, de l'arbre qui plongerait ses racines dans la terre que j'enrichis. Tout l'effroi provient du stupide cercueil imputrescible, de l'injustice, de la distance, de l'amertume, de l’écœurement, de la vieillesse, de la putréfaction, de l'absence définitive. Mais de vilaine Mort armée d'une faux nous n'avons rien à craindre, pas plus qu'il ne faille redouter l'ennui qu'inspire la peinture si répandue d'un cotonneux paradis, peuplé de belles âmes patientes. 

      Maudites par les prêtres et les plumes fantastiques, chouettes, loups, araignées et chauve-souris ne sont pas d'horribles ou fascinantes "créatures de la nuit". Victimes de nos préjugés et superstitions de vulnérable primate diurne, trop longtemps taxés de nuisibles ou, au contraire, vénérés pour leur service occulte, ce ne sont en réalité que d'admirables contemporains, capables et coupables d'aimer et d'habiter l'autre moitié du Jour, celle qui nous échappe, malgré les villes insomniaques. 

*Mark Twain disait qu'il n'y a que deux choses qu'un homme puisse regretter de n'avoir pas assez fait sur son lit de mort: ne pas avoir assez aimé, ne pas avoir assez voyagé



◄ Le superbe travail d'Eric Médard nous présente l'étonnante beauté de cet envers, insinuant la tendresse et la fragilité de ces destinées furtives, l'amour et l'intelligence dans ces regards baignés d'ombre et la grâce, l'étrangeté séduisante de leurs maraudes insoupçonnées, de leur fourrure pelucheuse.


[► La Mort n'existe pas 2/3]

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