De la stérilité du débat politique entre gens bien élevés

Le dimanche midi en famille ou lors d'un prime, devant des millions d'électeurs, ils simulent l'affrontement. Craignant de perdre la face ou ne désirant pas régner, les pseudos-belligérants exposent poliment leurs arguments par mégaphone, perchés sur des fortins distants. Ils ignorent magnifiquement la plaine nue où ils pourraient se battre.


8/2/10

      Sur France-Inter, Demosrand reçoit Eric Besson, l'occasion pour l'un d'accuser sous formes d'interrogatives dénuées d'interrogation le populisme nauséabond de la démarche ministérielle, et pour l'autre, par la convocation servile des préceptes républicains, de soutenir le bien-fondé de celle-ci, voire l'identité de leurs motivations: également soucieux, en fin de compte, d'honorer la République! Quel démocrate oserait s'aliéner les pères humanistes d'une formule à laquelle tous, dès lors qu'ils paient un impôt national, souscrivent? Aussi l'impertinent D cherche t-il à pousser dans ses retranchements le ministre et ses justifications benoîtes d'un: "Allons, très sincèrement, vous croyez vraiment qu'il y avait besoin d'un "débat national" pour en arriver à ces conclusions?." (de belles phrases tout justes polies, sur l'expression du républicanisme remarquable des Français, pour lesquels l'identité nationale n'est autre que l'adhésion aux valeurs républicaines, laïques et démocratiques, et qu'un étranger peut tout à fait intégrer, du moment qu'il s'y convertit ou les respecte) Et celui-ci de répondre placidement, que oui, il a fallu recourir à semblable enquête pour témoigner de la solidarité nationale (fortifier le sentiment d'identité nationale), qu'il ne serait pas négligeable de s'en réclamer à l'heure de réfléchir aux sujets comme les retraites, fonctionnant justement grâce à cette union des citoyens, de quelques partis politiques ou obédiences religieuses qu'ils rallient.

      Deux catéchismes qui s'apostrophent, rien de plus! Deux rhétoriques mouchetées en démonstration.. Deux masques prudents de politesse gesticulant leur colère. A aucun moment le débat ne prend forme.. Non pas que la critique pêche par sa légèreté: les interventions de D sont indéniablement pertinentes, offensives, habiles.*

      A aucun moment, les partis supposés opposés ne s'affrontent sur un même terrain. En attaquant violemment et loyalement l'argumentaire malsain de Besson, il serait pourtant possible de le décrédibiliser magnifiquement aux yeux de l'opinion générale, mais surtout de le soumettre ou neutraliser. On peut certes convaincre de la valeur supérieure de son parti en critiquant durement l'antagoniste de la façon à D, mais à ce jeu il ne faut pas espérer réduire ce dernier! Tout au plus s'effacera t-il temporairement face au style plus séduisant de son adversaire. Non, pour oser VAINCRE le langage ennemi, celui qui nous révulse par son mépris fondamental de l'esprit sauvage, il convient d'être à la fois plus ambitieux et plus humble. Attaquer loyalement, c'est-à-dire avec une cruauté splendide, frontale ou insidieuse, mais qui respecte la puissance adverse en engageant la sienne, lourde, féroce et efficace. Ni impitoyable ni méchante, elle sait honorer le Sauvage en méprisant les armes factices et l'engagement virtuel que nous propose un ennemi paresseux.

      D joue avec brio son rôle de journaliste, en accusant le ridicule ou la faiblesse démagogiques des déclarations du ministre. Avec une réjouissante et mordante ironie, il venge pertinemment son auditoire, le contente oui, en palliant son impuissance et son aigreur, en creusant solidairement la fosse de ses vexations!, mais la langue de bois expérimentée et pernicieuse à laquelle il se heurte, qu'il appelle fatalement, chez le politicien retors, démasque moins les turpitudes adverses qu'il n'illustre l'inefficacité de sa critique.

      Se satisfaire d'avoir osé récriminer contre le scélérat au lieu de vouloir le dominer serait lamentable. C'est pourtant ce qu'on observe couramment, tant les frustrations sont grandes et les occasions de les exprimer rares. C'est pourquoi chacun va repartir satisfait de cette petite joute médiatique, convaincu d'avoir joliment ferraillé, d'avoir dominé son adversaire même.



* Veut-on dire que la critique n'est pas "constructive"? Non plus! D'une part une critique constructive selon les termes diplomates où elle se définit habituellement ne nous contente pas: la critique dite constructive est en général affaire de timidité ou de charité. D'autre part, selon une définition plus hardie, celle que formule D s'avère médiatiquement constructive, étant donné qu'elle permet l'exposition des "bonnes raisons" de chacun, en toute équité.

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