Une grande et belle couleuvre de Montpellier eut le malheur de traverser trop lentement la petite route qui sinuait, elle aussi, entre champs d'orge et friches épineuses.
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Couleuvre de Montpellier, Malpolon monspessulanus. |
En un pueblo llamado Triste, matamos una serpiente.
Aurais-je freiné à temps? Asia conduisait et bien qu'elle freina sec, une légère secousse accompagnée d'un vilain bruit mat me firent aussitôt grimacer. J'adore les serpents, et cela faisait deux jours que je scrutais les pierriers et les herbes dans l'espoir d'en apercevoir un. Mais tandis que la voiture reculait, je me révoltais contre le prix et l'ironie sadique d'une telle fatalité: croiser finalement un beau reptile pour le devoir tuer aussitôt...
Las, le serpent était long et Anna n'avait pas suffisamment détourné ses roues, de sorte qu'elle n'avait ni tué ni épargné l'animal. Il se tortillait lamentablement à quelques mètres de la voiture arrêtée, douloureusement entravé par ses propres tripes qui, lourdes et sanguinolentes, collaient au bitume. Je sortis prestement, sans trop savoir pourquoi. Il eut sans doute mieux valu rouler à nouveau sur lui pour l'achever. Peut-être refusais-je que la voiture suivante pensât ce que je pense habituellement: qu'il faut être idiot ou cruel pour écraser un animal qui traverse SA campagne. Faire disparaître les traces, que sais-je? Je ne pouvais plus sauver le serpent dont l'horrible blessure me rappelait celle des héros de films de guerre ou de la série Walking Dead, lorsque leur tête et leur poitrine sont malgré tout intactes. "Percé" au lieu d'être cassé: on aurait dit qu'il ne pouvait mourir, bien qu'il fût évident qu'il ne s'en tirerait pas.
Alors le serpent fit quelque chose de bien naturel et qui cependant continue de me stupéfier. Entre mes jambes, il banda ses muscles et détendit brusquement le magnifique double S de ses écailles verdâtres. Une fois, puis une seconde, violente, furieuse, terrifiée. Il s'arracha à sa chair et à l'asphalte cruelle pour aller mourir librement plus loin, dans l'herbe.*
Après ça, je demeurai silencieux de longs kilomètres, incapable de m'arracher à cette vision de beauté et d'horreur confondues, à ce sentiment de gratitude et de culpabilité mêlées. La couleuvre avait glissé entre les herbes folles. J'espérais, bon dieu j'espérais, qu'elle succombe vite. Ou qu'un renard, qu'une cigogne espagnole, achève dès ce soir la torture imbécile que nous lui avions infligée.
Plus loin, je vis trois guêpiers égayer les reliefs sableux, puis, pour la première fois, une huppe fasciée (elle disparut entre les pins).
* Plutôt que de demeurer à la merci d'un prédateur, à découvert, au lieu d'amoindrir ses souffrances en ne bougeant plus, il avait rassemblé ses dernières forces pour gagner le bas-côté sauvage. Il s'était tué à se sauver. Quel homme en est capable?. Jésus me fait honte qui à aucun moment ne loue ni même n'épargne un serpent. Bien sûr, la symbolique judéo-chrétienne provient en grande partie des préjugés et surtout de la défiance nécessaire d'un peuple de bergers -à l'égard des loups, des araignées ou des serpents: créatures concurrentes ou venimeuses. De là à les diaboliser, de si longs millénaires... A ériger un exemple local, un avertissement obsolète, en une représentation définitive du Mal!..
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