La Mort n'existe pas 3/3


Vieille grange et pissenlits.


La Mort en elle-même ne doit pas effrayer. Elle n'est pas l'absence de vie. Elle n'y préexiste pas, n'a pas de sens sans elle. Non pas qu'elle soit son ennemi juré, ou son complément négatif: la mort n'est qu'une étape de la vie, une partie et une explication de son bon fonctionnement. 


      Sans être croyant et sans le confort relatif d'une espérance de rallonge, je ne serai pas plus embêté que cela à l'idée de mourir demain ou d'avoir un cancer et six mois à vivre. Si ce n'est bien sûr, que je n'aimerais pas souffrir physiquement six mois. Et surtout, que je n'aimerais pas m'éteindre avant d'avoir mener à bien deux ou trois projets.
      Qu'on me mette sur une voie ferrée et qu'un train arrive: je vais m'écarter des rails, terrifié. Non pas parce que j'ai peur de mourir, mais parce que je ne veux pas mourir. Et parce que je ne veux pas souffrir.
      Ce n'est pas que je refuse de mourir tout de suite, que je veuille gagner du temps. Non. Je ne veux pas mourir parce que je ne veux jamais mourir. C'est un réflexe bien naturel, celui d'un chevreuil fuyant la meute affamée, y mettant toute son énergie, se félicitant en quelque sorte d'en réchapper pour, ironie cruelle, mourir de froid l'hiver venu. Même chose pour l'homme qui se "bat" contre un cancer à l'hôpital, ou survit à trois attentats et deux guerres mondiales ...pour mourir bêtement, en traversant la rue, la paix revenue. Tout animal donnera tout pour s'en sortir, peu importe si cela ne mène nulle part -ou pas très loin. Survivre cette fois-ci, c'est se perpétuer: tout ce qui compte. Mais passons.
-Ne pas vouloir mourir.- Je peux tout à fait ne pas vouloir mourir, craindre ce qui peut me nuire, tout faire pour continuer à vivre, et cependant, étrangement, ne pas avoir peur "de mourir"...

      C'est un fait indéniable: la mort n'existe pas.
      Bien sûr, tranchez  la tête d'un homme, brûlez-lui la cervelle, et vous le tuez instantanément. Les guerres et les maladies font des millions de morts. La mort d'un être cher est insoutenable, et ça nous fait une belle jambe de penser qu'elle n'est qu'une vue de l'esprit... Ce n'est d'ailleurs pas ce à quoi je la réduis, une vue de l'esprit. La mort n'existe pas, et pourtant, à sa façon, elle est une réalité, cruelle et implacable. De ce fait paradoxal, elle nous "frappe", le roi d'égout tout comme le rat en son palais. Elle ne devrait toutefois pas nous affliger outre-mesure. La mort et la perspective de mourir n'ont aucune raison d'empoisonner constamment l'existence des gens. Qu'ils la traversent affligés comme des pénitents, espérant l'au-delà-la-mort et sa conjuration par le repos mérité, la plénitude parmi les siens, tous heureux dans les nuages avec les anges, qu'ils l'ignorent superbement, allant de fêtes en courses éperdues, de vins en amours, ou noyés résolument, la tête dans le guidon, dans le travail ou le quotidien grisâtre et doux,  le moteur et l'arrière-plan sont les mêmes: la crainte ou le rejet de la Mort, quoi qu'il en soit, ainsi qu'un sentiment négatif envers sa puissance, qu'on l'estime juste ou non.

      Ce que je veux dire, c'est que parler de "mort", la nommer, n'est qu'une façon maladroite de décrire l'arrêt des fonctions vitales d'un être, ou le sentiment d'horreur lié à ce phénomène inéluctable. Par facilité, on nomme la mort en négatif, et non pour elle-même. Certes, la mort attriste, horrifie, effraie. Elle impressionne négativement toutes sortes de créatures. Cependant, elle n'a pas grand chose à voir avec un squelette (humain) désabusé, un monstre impitoyable et vorace. On la représente par commodité, ici et là, en une allégorie repoussante. On l'illustre et on la vêt, parce qu'elle est invisible.
La baptise t-on, pour s'y référer? Lui accorde t'on une majuscule, une distinction universelle, parce qu'elle est imposante et fameuse, frappant partout, sans distinction, depuis l'aube des temps? C'est que les hommes, les pauvres, ont de l'imagination. Il faut bien combler ce vide et le remplir de mots, de peintures. Si l'on s'attarde pourtant, on ne peut qu'observer, confondus et amusés, qu'elle n'est franchement pas grand chose. Rien, en définitive, qu'une insignifiance. La mort n'est qu'un phénomène mineur, l'envers lumineux de la vie noire, le noir lumineux de l'envers vital. Tout le mal et la souffrance qu'elle provoque, son identité, son intégrité, la vie lui les prête.

      A t-on peur de la mort? Généralement non. La mort n'existe pas. On redoute la souffrance, la douleur fulgurante ou le supplice interminable d'une lame qui pénètre dans vos chairs et les ouvre. L'exposition prohibée de nos entrailles vives et rouges, et la punition terrible qui s'ensuit. Cette peine ultime, on ne peut que l’imaginer en temps de paix. On conçoit grossièrement l'intensité d'une souffrance en se rappelant certaine blessure physique, avant de la multiplier par cent, par mille. Et puis on se console, si l'on peut dire, en se persuadant qu'être égorgé ne dure pas longtemps, et que le temps de s'apercevoir à quel horrible point nous souffrons, on trépasse et le mal prend fin. On ne craint pas la mort elle-même: on craint ses corollaires les plus désagréables. La maladie qui avilit ou torture, la vieillesse qui enlaidit et rapetisse, la puanteur et le pourrissement. L'oubli, la disparition, le chagrin.

      Dans une optique Sauvage, on ne peut abolir de telles souffrances et désagréments. Mais on accepte sans peine leur caractère sinon légitime, du moins nécessaire: biodiversité microbienne et virale, cycle de transmissions des protéines et du carbone, beauté et noblesse d'un épanouissement jusqu'à l'éclatement, c'est-à-dire la sénescence et la propagation, la fusion, douce et splendide, qui suit la moindre mort, fut-elle carnage de prédateur, hécatombe insensée... On apprend la fécondité et la raison des phénomènes et affectations nocives (de la vieillesse, de la maladie, de l'accident ou de la prédation), sans jamais sombrer dans le fatalisme ou la théocratie des brutes: parce qu'il faut vivre à tout prix et perpétuer l'espèce, nous manquerons rarement d'être horrifiés, dégoûtés (l'indignation du corps) de ces atteintes, et chercherons légitimement à nous en prémunir, du moins à en amoindrir ou retarder les effets. Aucune schizophrénie dans cette attitude! L'homme épris du Sauvage concilie naturellement sa loyauté à l'égard des règles naturelles avec une détermination farouche, un biocorporatisme de prime abord égoïste qui cependant, de par son dynamisme propre et la "créativité" qu'elle implique, participe de cette solidarité générale des espèces. Toutes occupées à se reproduire, tuer ou se défendre, à survivre, dans un génial équilibre qui n'en finit pas de s'équilibrer. C'est ainsi que nos luttes, nos protestations, nos inventions, au même titre que la fuite des campagnols ou l'édification des fourmilières, affine et fluidifie sans cesse la matrice écologique.
      Malgré le cri d'effroi de Tintin, qui découvrant la plaine lunaire, décrit un "paysage de mort", celle-ci est absente, inexistante, de l'Espace ...inhabité. Qu'on découvre un jour quelque bactérie extraterrestre sur les glaces ou au fond des mers d'une planète ou d'un satellite, et sa présence sera attestée, mécaniquement. Mais qu'on parle de Mort dans l'espace inanimé et silencieux n'a pas de sens.. Contrairement à ce qu'en disent les esprits chagrins, la mort n'a jamais le dessus sur la vie, étant donné que la mort "n'existe" pas sans l'ébullition vitale.* Techniquement, la mort ne précède ni ne suit une existence ou la Vie en général. Elle n'est qu'un processus, ou qu'une étape, de la vie en permanente refonte. Apparue avec elle, elle peut aussi disparaître en même temps.

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      La mort n'a pas de réalité propre. Elle n'est même pas le négatif de la vie, juste son interruption.. Bien sûr, en contemplant une jeune pousse verdir au milieu d'un champ de lave noire, refroidie, on a la faiblesse de songer que "la vie est un miracle", tant sont précaires les existences surgies d'entre les ruines et les déserts, et inégales les forces en présence: les puissants dinosaures ou les plus inventifs parmi les primates ne pèsent pas lourds face aux cataclysmes chtoniens, qui tôt ou tard se manifestent. Il est alors tentant d'opposer les manifestations certes prodigieuses de la biologie à l'omniprésence d'une antithèse archaïque, d'une puissance immémoriale et primitive. Quelque chose qui aurait régné avant la sarabande de l’Évolution, quelque chose comme un voile sinistre et pesant qui retombe dès qu'une vie ou qu'un système comme un poteau s'affaisse, contre lequel nous luttons héroïquement. L’antienne des films d’épouvante ou d’horreur, consacrant la puissance fantasmée d’effroyables divinités antiques, barbares, anthropophages! On exalte mieux la Splendeur par contraste**. Ainsi faut-il établir la mort, quitte à renier son historique éclosion, pour célébrer avec un éclat supérieur la grandeur et la délicatesse de la vie. Dire la Vie par rapport au Rien minéral (qui n'est pas l'immobilité!) gagnerait en justesse ce qu'il perdrait en éclat. 


La vie peut théoriquement exister sans elle. La mort au contraire n'a pas de sens hors d'une séquence bio-existence / fin de cette bio-existence.  
** Croyant, on s'abaisse aussi plus efficacement.


La Mort n'existe pas 1/3
► La Mort n'existe pas 2/3

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