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Vieille grange et pissenlits. |
La Mort en elle-même ne doit pas effrayer. Elle n'est pas l'absence de vie. Elle n'y préexiste pas, n'a pas de sens sans elle. Non pas qu'elle soit son ennemi juré, ou son complément négatif: la mort n'est qu'une étape de la vie, une partie et une explication de son bon fonctionnement.
Sans être
croyant et sans le confort relatif d'une espérance de rallonge, je ne serai pas
plus embêté que cela à l'idée de mourir demain ou d'avoir un cancer et six mois
à vivre. Si ce n'est bien sûr, que je n'aimerais pas souffrir physiquement six
mois. Et surtout, que je n'aimerais pas m'éteindre avant d'avoir mener à bien
deux ou trois projets.
Qu'on
me mette sur une voie ferrée et qu'un train arrive: je vais m'écarter des
rails, terrifié. Non pas parce que j'ai peur de mourir, mais parce que je ne veux pas mourir. Et parce que je
ne veux pas souffrir.
Ce n'est pas que je refuse de mourir
tout de suite, que je veuille gagner du temps. Non. Je ne veux pas mourir
parce que je ne veux jamais mourir. C'est un réflexe bien naturel, celui d'un chevreuil fuyant la meute affamée, y mettant toute son énergie, se félicitant en quelque sorte d'en réchapper pour, ironie cruelle, mourir de froid l'hiver venu. Même chose pour l'homme qui se "bat" contre un cancer à l'hôpital, ou survit à trois attentats et deux guerres mondiales ...pour mourir bêtement, en traversant la rue, la paix revenue. Tout animal donnera tout pour s'en sortir, peu importe si cela ne mène nulle part -ou pas très loin. Survivre cette fois-ci, c'est se perpétuer: tout ce qui compte. Mais passons.
-Ne pas vouloir mourir.- Je peux tout à fait ne pas vouloir mourir, craindre ce qui peut me nuire, tout faire pour continuer à vivre, et cependant, étrangement, ne pas avoir peur "de mourir"...
-Ne pas vouloir mourir.- Je peux tout à fait ne pas vouloir mourir, craindre ce qui peut me nuire, tout faire pour continuer à vivre, et cependant, étrangement, ne pas avoir peur "de mourir"...
C'est un fait indéniable: la
mort n'existe pas.
Bien
sûr, tranchez la tête d'un homme,
brûlez-lui la cervelle, et vous le tuez instantanément. Les guerres et les
maladies font des millions de morts. La mort d'un être cher est insoutenable,
et ça nous fait une belle jambe de penser qu'elle n'est qu'une vue de
l'esprit... Ce n'est d'ailleurs pas ce à quoi je la réduis, une vue de
l'esprit. La mort n'existe pas, et pourtant, à sa façon, elle est une réalité, cruelle et
implacable. De ce fait paradoxal, elle nous "frappe", le roi d'égout tout comme le rat en son palais. Elle ne devrait toutefois pas nous affliger
outre-mesure. La mort et la perspective de mourir n'ont aucune raison
d'empoisonner constamment l'existence des gens. Qu'ils la traversent affligés
comme des pénitents, espérant l'au-delà-la-mort et sa conjuration par le repos
mérité, la plénitude parmi les siens, tous heureux dans les nuages avec les
anges, qu'ils l'ignorent superbement, allant de fêtes en courses éperdues, de
vins en amours, ou noyés résolument, la tête dans le guidon, dans le travail ou
le quotidien grisâtre et doux, le moteur
et l'arrière-plan sont les mêmes: la crainte ou le rejet de la Mort, quoi qu'il
en soit, ainsi qu'un sentiment négatif envers sa puissance, qu'on l'estime juste ou non.
Ce
que je veux dire, c'est que parler de "mort", la nommer, n'est qu'une
façon maladroite de décrire l'arrêt des fonctions vitales d'un être, ou le sentiment d'horreur lié à ce phénomène inéluctable. Par facilité, on nomme la mort en
négatif, et non pour elle-même. Certes, la mort attriste, horrifie, effraie. Elle impressionne négativement toutes sortes de créatures. Cependant, elle
n'a pas grand chose à voir avec un squelette (humain) désabusé, un monstre impitoyable et vorace. On la représente par commodité, ici et là, en une allégorie repoussante. On l'illustre et on la vêt, parce qu'elle est invisible.
La baptise t-on, pour s'y référer? Lui accorde t'on une majuscule, une distinction universelle, parce qu'elle est imposante et fameuse, frappant partout, sans distinction, depuis l'aube des temps? C'est que les hommes, les pauvres, ont de l'imagination. Il faut bien combler ce vide et le remplir de mots, de peintures. Si l'on s'attarde pourtant, on ne peut qu'observer, confondus et amusés, qu'elle n'est franchement pas grand chose. Rien, en définitive, qu'une insignifiance. La mort n'est qu'un phénomène mineur, l'envers lumineux de la vie noire, le noir lumineux de l'envers vital. Tout le mal et la souffrance qu'elle provoque, son identité, son intégrité, la vie lui les prête.
La baptise t-on, pour s'y référer? Lui accorde t'on une majuscule, une distinction universelle, parce qu'elle est imposante et fameuse, frappant partout, sans distinction, depuis l'aube des temps? C'est que les hommes, les pauvres, ont de l'imagination. Il faut bien combler ce vide et le remplir de mots, de peintures. Si l'on s'attarde pourtant, on ne peut qu'observer, confondus et amusés, qu'elle n'est franchement pas grand chose. Rien, en définitive, qu'une insignifiance. La mort n'est qu'un phénomène mineur, l'envers lumineux de la vie noire, le noir lumineux de l'envers vital. Tout le mal et la souffrance qu'elle provoque, son identité, son intégrité, la vie lui les prête.
A
t-on peur de la mort? Généralement non. La mort n'existe pas. On redoute la
souffrance, la douleur fulgurante ou le supplice interminable d'une lame qui
pénètre dans vos chairs et les ouvre. L'exposition prohibée de nos entrailles
vives et rouges, et la punition terrible qui s'ensuit. Cette peine ultime, on
ne peut que l’imaginer en temps de paix. On conçoit grossièrement l'intensité d'une souffrance
en se rappelant certaine blessure physique, avant de la multiplier par cent, par
mille. Et puis on se console, si l'on peut dire, en se persuadant qu'être
égorgé ne dure pas longtemps, et que le temps de s'apercevoir à quel horrible
point nous souffrons, on trépasse et le mal prend fin. On ne craint pas la mort
elle-même: on craint ses corollaires les plus désagréables. La maladie qui
avilit ou torture, la vieillesse qui enlaidit et rapetisse, la puanteur et le
pourrissement. L'oubli, la disparition, le chagrin.
Dans
une optique Sauvage, on ne peut abolir de telles souffrances et désagréments. Mais on
accepte sans peine leur caractère sinon légitime, du moins nécessaire:
biodiversité microbienne et virale, cycle de transmissions des protéines et du
carbone, beauté et noblesse d'un épanouissement jusqu'à l'éclatement,
c'est-à-dire la sénescence et la propagation, la fusion, douce et splendide,
qui suit la moindre mort, fut-elle carnage de prédateur, hécatombe insensée... On apprend la fécondité et la raison des phénomènes et affectations nocives (de
la vieillesse, de la maladie, de l'accident ou de la prédation), sans jamais
sombrer dans le fatalisme ou la théocratie des brutes: parce qu'il faut vivre à
tout prix et perpétuer l'espèce, nous manquerons rarement d'être horrifiés,
dégoûtés (l'indignation du corps) de ces atteintes, et chercherons légitimement
à nous en prémunir, du moins à en amoindrir ou retarder les effets. Aucune
schizophrénie dans cette attitude! L'homme épris du Sauvage concilie
naturellement sa loyauté à l'égard des règles naturelles avec une détermination
farouche, un biocorporatisme de prime abord égoïste qui cependant, de par son
dynamisme propre et la "créativité" qu'elle implique, participe de
cette solidarité générale des espèces. Toutes occupées à se reproduire, tuer ou
se défendre, à survivre, dans un génial équilibre qui n'en finit pas de
s'équilibrer. C'est ainsi que nos
luttes, nos protestations, nos inventions, au même titre que la fuite des
campagnols ou l'édification des fourmilières, affine et fluidifie sans cesse la
matrice écologique.
Malgré
le cri d'effroi de Tintin, qui découvrant la plaine lunaire, décrit un
"paysage de mort", celle-ci est absente, inexistante, de l'Espace ...inhabité. Qu'on découvre un jour quelque bactérie
extraterrestre sur les glaces ou au fond des mers d'une planète ou d'un satellite, et sa présence sera attestée, mécaniquement. Mais qu'on parle de Mort dans
l'espace inanimé et silencieux n'a pas de sens.. Contrairement à ce qu'en
disent les esprits chagrins, la mort n'a jamais le dessus sur la vie, étant
donné que la mort "n'existe" pas sans l'ébullition vitale.* Techniquement, la mort
ne précède ni ne suit une existence
ou la Vie en général. Elle n'est qu'un processus, ou qu'une étape, de la vie en permanente
refonte. Apparue avec elle, elle peut aussi disparaître en même temps.
..........
La
mort n'a pas de réalité propre. Elle n'est même pas le négatif de la vie, juste
son interruption.. Bien sûr, en contemplant une jeune pousse verdir au milieu
d'un champ de lave noire, refroidie, on a la faiblesse de songer que "la vie
est un miracle", tant sont précaires les existences surgies d'entre
les ruines et les déserts, et inégales les forces en présence: les puissants
dinosaures ou les plus inventifs parmi les primates ne pèsent pas lourds face
aux cataclysmes chtoniens, qui tôt ou tard se manifestent. Il est alors tentant d'opposer les manifestations
certes prodigieuses de la biologie à l'omniprésence d'une antithèse archaïque,
d'une puissance immémoriale et primitive. Quelque chose qui aurait régné avant
la sarabande de l’Évolution, quelque chose comme un voile sinistre et pesant
qui retombe dès qu'une vie ou qu'un système comme un poteau s'affaisse, contre
lequel nous luttons héroïquement. L’antienne des films d’épouvante ou
d’horreur, consacrant la puissance fantasmée d’effroyables divinités antiques,
barbares, anthropophages! On exalte mieux la Splendeur par contraste**. Ainsi faut-il établir la mort, quitte
à renier son historique éclosion, pour célébrer avec un éclat supérieur la grandeur
et la délicatesse de la vie. Dire la Vie par rapport au Rien minéral (qui n'est
pas l'immobilité!) gagnerait en justesse ce qu'il perdrait en éclat.
* La vie peut théoriquement exister sans elle. La mort au contraire n'a pas de sens hors d'une séquence bio-existence / fin de cette bio-existence.
** Croyant, on s'abaisse aussi plus efficacement.
► La Mort n'existe pas 1/3
► La Mort n'existe pas 2/3
* La vie peut théoriquement exister sans elle. La mort au contraire n'a pas de sens hors d'une séquence bio-existence / fin de cette bio-existence.
** Croyant, on s'abaisse aussi plus efficacement.
► La Mort n'existe pas 1/3
► La Mort n'existe pas 2/3
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