Dessins racistes, ambitions rassies

Case extraite de l'album "Tintin au Congo" (1931).


Avec Tintin au Congo, HergĂ© caricatura un continent entier, avec le ton paternaliste de l'Ă©poque et l’Ĺ“il raciste et colonialiste de son journal. Aujourd'hui, l'Afrique n'a rien Ă  gagner Ă  concourir au tournoi des fiertĂ©s nationalistes. En revendiquant l'ambition de l'ancien maĂ®tre europĂ©en, elle combat mal sa vieille emprise, tout comme le pauvre rassure le bourgeois en singeant sa mise et ses expressions.  


9/02/12

      Dans le LibĂ© du jour, un ressortissant congolais dĂ©boutĂ© dans sa tentative d'interdiction de Tintin au Congo par la justice belge. Il jugeait bien sĂ»r l'oeuvre raciste; on lui a rĂ©torquĂ© qu'HergĂ© ne manifestait qu'un "paternalisme gentil" Ă  l'Ă©gard des Noirs, dans le ton de l'Ă©poque. Je suis Ă©videmment d'avis qu'il faille resituer l'oeuvre dans son contexte historique, et cependant qu'on doive la qualifier de raciste et d'insultante, Ă  l'aune de valeurs qui se flattent d'une universalitĂ© moins autoritaire*. Toutefois, si j'estime pertinentes les critiques dĂ©nonçant la peinture grotesque du Noir, affublĂ© par HergĂ© de traits caricaturaux, dĂ©crit comme un ĂŞtre "paresseux, docile ou idiot", en somme: redevable au Blanc colonisateur de lui apporter sinon une civilisation digne de ce nom, du moins le dĂ©veloppement Ă©conomique et la foi chrĂ©tienne, certain reproche fait sincèrement au dessinateur me semble infondĂ©. Celui de montrer un homme noir "incapable de s'exprimer dans un français correct". Je comprends certes la rĂ©action d'orgueil que suscite le mĂ©pris grossier du colon, la blessure douloureuse. NĂ©anmoins, je juge la riposte maladroite et inefficace. En confondant clichĂ© raciste (= les Noirs ne sont pas assez intelligents pour parler comme Tintin) et gĂ©nĂ©ralitĂ© historique (= les Congolais de 1930 parlaient sans doute mieux leur langue maternelle que le français), elle souscrit involontairement aux règles truquĂ©es du rapport colonialiste. Peu fĂ©roce, en dĂ©finitive, elle conforte l'iniquitĂ© d'un dialogue qui restera ainsi outillĂ©, manĹ“uvrĂ©, dominĂ© par celui qu'il croit frapper.

      Il m'embarrasse au mĂŞme titre que l'offuscation des intellectuels Ă  qui le peu subtil Sarkozy venait d'affirmer que l'Afrique "n'Ă©tait pas assez entrĂ©e dans l'Histoire", ou que la fiertĂ© de ces hommes d'affaires qui, accessoirement noirs, se flattent d'accĂ©der aux attributs de pouvoir et d'honorabilitĂ© du bourgeois blanc: costard, mandat politique, personnel blanc.. Il dessert leurs auteurs plutĂ´t que d'accabler les racistes. Pire, on adoucit le racisme en le critiquant mal. Faut-il qu'un Noir ait l'air d'envier l'avanie du Blanc pour qu'on l'Ă©coute et le considère? En clair, un homme, un peuple, une culture respectable doit-elle singer les manières et l'arrogance d'une autre pour gagner son respect? Non, bien sĂ»r. A imiter son maĂ®tre, on gagne plutĂ´t son mĂ©pris. Bref, l'entretien d'un "paternalisme gentil".. Alors.. Que signifie qu'on dĂ©plore ou qu'on revendique pour le fabuleux continent noir sa proportion de Rois sanguinaires, de dates marquant des batailles abjectes, d'empires tyranniques? Qu'on se rĂ©jouisse d'un Voltaire ou d'une guerre de rĂ©sistance noirs, oui! La lutte contre le colon par exemple. Mais qu'on se fĂ©licite de la puissance et de la longĂ©vitĂ© de l'empire mandingue, de la qualitĂ© des armĂ©es zouloues... Est-ce lĂ  un gĂ©nie respectable? N'est-ce davantage une façon de proclamer, farauds: nous aussi nous fĂ»mes guerriers et tyranniques, telle est l'Histoire oĂą nous dĂ©sirons siĂ©ger?. Piteuse fiertĂ© que celle d'un africain noir, qui revendique son français de fin lettrĂ© ou son intĂ©gration aux hautes sphères. Un Noir du Mali qui ne parle pas le français d'un Parisien (Blanc ou Noir) devrait-il chercher Ă  parler ce français pur? S'amĂ©liorerait-il en acquĂ©rant l'accent et la syntaxe plus correcte selon l'AcadĂ©mie d'un français de Paris?  Devrait-il ĂŞtre fier de son style français, et mĂ©priser le français moins acadĂ©mique mais plus fleuri, mĂ©tissĂ© et enjolivĂ© du bambara, du peul, ou du dogon, ces deux ou trois autres belles langues qu'il pratique couramment! -dont il devrait se vanter-, mĂ©priser donc, ce français non pas "petit nègre", imitation infamante proposĂ©e en son temps par HergĂ© et aujourd'hui, par de mauvais humoristes, mais ce français distinct, parfois incorrect (c'est le mot!) selon, prĂ©cisons-le encore, le canon de Paris et de l'AcadĂ©mie, que pratiquent ses compatriotes?

      De mĂŞme, faut-il rĂ©ellement fĂ©liciter l'entreprise de DĂ©veloppement Ă©conomique alimentĂ©e par les dirigeants africains, et relayĂ©e par leurs Ă©lus les plus modestes, s'enthousiasmer de ce discours et d'une volontĂ© prĂ©tendument Ă©mancipatrice, quand cette rhĂ©torique en dĂ©finitive empruntĂ©e aux maĂ®tres blancs du FMI, thĂ©orisĂ©e par les impĂ©rialistes les moins progressistes, sous-tendue par une mĂ©canique inĂ©galitaire, s'occupe essentiellement d'exploiter des mines ou de construire des autoroutes ou des ports (ou de fait: de vendre ces concessions et ces chantiers Ă  des multinationales), au lieu de contribuer Ă  un dĂ©veloppement rĂ©el des territoires, en phase avec les plus nobles et anciennes valeurs africaines de solidaritĂ© et d'attention: alphabĂ©tisation, programme de santĂ©, d'accès Ă  l'eau potable etc. 

      Faut-il que les SĂ©nĂ©galais s'enorgueillissent de l'Ă©rection d'un monument spectaculaire Ă  "la Renaissance africaine"? Un titan de bronze sensĂ© symboliser des valeurs Ă©mancipatrices, dessinĂ© par un dictateur [titan fils de tyran], qui Ă©crase le peuple de Dakar de ses dimensions monstrueuses et de son coĂ»t mirobolant.

      Ainsi, je trouverais absurde de prĂ´ner Ă  tout prix une africanitĂ© d'attitude ou le rejet absolu des codes et symboles venus des anciens maĂ®tres (ou des nouveaux impĂ©rialistes chinois..). Prendre le meilleur de chaque tradition, construire une modernitĂ© hybride, arborer une fiertĂ© sienne, qui n'ait besoin d'ĂŞtre vue ou enviĂ©e pour resplendir!


* Ceci n'affectant jamais l'appréciation artistique de l'épisode lui-même, ni sa place parmi l'oeuvre géniale d'Hergé, de la même façon que les saillies déplorables d'un Bardamu, clairement racistes ou antisémites, ne sauraient déprécier le chef-d'oeuvre de Céline.

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