Insupportables poussettes

Quoi de pire qu'une photo libre de droits de gens souriants? Une photo libre de droits avec trois poussettes. Dans un parc.


Dans l'insipide journal de la commune, entre deux articles sur la fête de la Chasse et les joyeuses randonnées à cent cinquante, le tout nouveau projet du village voisin: une crèche, pour la néo-rurale progéniture. 


      Le montage photo qui accompagne l'article dévoile une architecture à la mode: colorée, cubiste, sorte de boite de crayons géante. Pour animer l'illustration, des personnages ont été placés en surimpression. Il s'agit de jeunes mamans promenant leurs poussettes.
      Étrangement,ces brouettes mal fichues m'inspirent une aversion qui ne faiblit pas avec les années, sans que je ne parvienne clairement à me l'expliquer. Je veux dire: à étayer immédiatement cette bizarrerie mal vue.*

      J'ai donc l'habitude de choquer mon entourage en ne prenant pas de gants pour dire le mal que je pense des enfants geignards et de leurs parents complaisants. J'ai en horreur les jolis bébés et plus encore les pâmoisons publicitaires qu'ils provoquent chez les faux-culs et les bas-du-front, d'ordinaire si étrangers à la félicitation gratuite. Mais les poussettes? En quoi cet inoffensif, innocent véhicule peut-il m'indisposer à distance?

      Sans doute ne puis-je en voir une squatter le trottoir, fendant la foule d'une rue piétonne avec l'autorité d'un brise-glace, sans songer aussitôt à notre problématique prolifération. Innombrables et contagieuses, les poussettes matérialiseraient le rythme abject d'accroissement démographique de l'Humanité, imbécile et dévastatrice. 
Pourtant, je me suis mis à les aimer encore moins après avoir noté leur absence et la façon dont les jeunes femmes de l'Oriente équatorien trimbalaient leurs bambins sur le dos, enveloppés en un tournemain dans un morceau d'étoffe. A l'évidence, le taux de fécondité dans les régions du globe où les bébés sont portés contre leur mère plutôt que menés en chariot est bien supérieur à celui de la vieille Europe ou des centres urbains tropicaux. Il s'agirait donc d'autre chose, du moins d'une chose en plus. L'hypocrisie sociale? (ces bébés moches que l'on trouve mignons) La répétition de l'échec, qui confine à la faute volontaire? (tous ces adultes reproduits avant même d'avoir su grandir!) Les accointances avec le pire de la société de consommation? Ces poussettes qui irradient à heure fixe des sages quartiers pavillonnaires, attributs obligés du foyer moyen menant sa vie normale, avec le chien et la belle voiture familiale? Celles qui déambulent, benoîtes, dans les centres commerciaux, la promenade favorite des gens qui rêvent peu. Le rejeton exposé sur son char miniature, reflété dans les vitrines en surimpression des monceaux de tennis et de smartphones débiles, gobeur passif de toute la pourriture visuelle des villes...

MS
8/6/2014-30/04/2019
J'ai sans doute su il y a longtemps. Je réalise d'ailleurs qu'à vingt ans je ne savais pas vraiment pourquoi j'aimais certaines choses, alors que je comprenais parfaitement pourquoi j'en détestais d'autres. Désormais, ce serait plutôt l'inverse. Je suis contraint fréquemment de maîtriser une antipathie dont j'ignore a priori la source, n'ayant d'autre choix que de passer à autre chose, faute d'arguments immédiats, ou de m'isoler un temps, celui d'enquêter aux sources du sentiment négatif. 

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