Affamons le Moloch!

Hong Kong, la nuit.

Revenu en ville, après un long séjour dehors, à trimbaler ses vivres et ramasser de quoi allumer son feu, on se prend à compter la foule dégueulée par le métro, ou les foyers bleutés d'un immeuble le soir. On pense au prix véritable des choses, au jardin vivrier d'une famille, à la chasse d'une renarde pour nourrir ses petits. Soudain, on est saisi de vertige, en envisageant la quantité sidérante d'espace, d'eau et de nourriture dont peut avoir besoin chaque jour une cité entière.


Il faut avoir considéré, faute de le vivre, la surface de nature sauvage nécessaire, le rayon de gibier, à l'entretien temporaire d'un clan ou d'une tribu amazonienne, pourtant économe, et se dire qu'une telle population, ce miracle d'équilibre en perpétuel réajustement, ne représente numériquement qu'une goutte d'eau à l'échelle d'un océan d'appétits à satisfaire dans une cité comme New York, Shanghai ou Barcelone. Sachez le prix et la beauté d'un tapir, autant de viande sur pied, ce qu'il en coûte de le tuer et de l'ôter d'un paysage. Voyez ce qu'il faut puiser, saigner et défricher pour que terminent leurs journées insipides ces faces grises, verdâtres et jaunes: les hamburgers engloutis chaque soir, les tombereaux de viennoiseries, les piscines olympiques d'eau souillée. A ce rythme absurde, comment ce monde pourrait-il tourner une génération de plus? Ou plutôt: comment le pourrait-il sans dévorer toujours plus de ses propres enfants, victimes invisibles de la pollution, de la malnutrition, des guerres liées, in fine, aux ressources?

Pour des besoins cent fois moindres, et un usage autrement plus noble, on vilipende et on tire l'animal concurrent, coupable de braconner sur les terres dont on l'exproprie. Dans les campagnes, le renard. A la montagne, le loup, l'ours, le lynx. Ailleurs, le phoque, le jaguar. Auparavant, le thylacine...

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